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Gagnants et perdants de l’euro surévalué

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MICHEL SANTI

Le  taux de change de l’euro est surveillé par les dirigeants français comme le lait sur le feu. Qu’il monte un peu trop vite et les langues se délient, fustigeant un frein inacceptable à la reprise économique. Son appréciation rapide depuis l’été 2012, qui l’a conduit début février jusqu’à 1,36 dollar, a provoqué une vague de commentaires alarmistes.

Ces dernières semaines, l’euro est redescendu autour de 1,30 dollar, notamment à la suite des élections en Italie et de l’impasse politique qu’elle dessine. Mais ce niveau reste trop élevé, selon certains membres du gouvernement. « Si l’on veut de la croissance, il faut faire baisser l’euro », martèle le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg.

La devise européenne, estime-t-il, est surévaluée. Les économistes ne fixent-ils pas le taux de change « naturel » (celui qui permettrait de remédier aux déséquilibres des balances extérieures) de l’euro autour de 1,15-1,20 dollar en moyenne ?

Un chiffre permet de saisir les causes de cette fébrilité : 0,1 %. Soit le taux de croissance ridiculement faible attendu pour la France en 2013 par la Commission européenne. Le gouvernement français désespère de trouver du carburant pourfaire repartir l’économie. Pour renforcer la compétitivité des entrepriseshexagonales, il appelle de ses voeux une monnaie plus faible. L’enjeu est crucial en France et dans les pays méditerranéens, où les exportations sont très sensibles aux prix.

Certains s’inquiètent surtout de voir l’euro victime d’une forme de « concurrence déloyale ». Face aux initiatives monétaires désordonnées de certains partenaires de l’eurozone, à Tokyo, à Washington ou à Londres, la monnaie unique est en effet menacée de servir de variable d’ajustement du commerce international.

POURQUOI CE DÉBAT RESSURGIT

Le Japon a relancé la polémique avec l’arrivée au pouvoir, en décembre 2012, deShinzo Abe, partisan revendiqué d’un yen plus faible. Réagissant au discours martial de M. Abe, la devise nippone a plongé jusqu’à un plus bas de trois ans. En trois mois, elle a perdu quelque 12 % face à l’euro.

Tancé par ses partenaires, M. Abe a renoncé à toute intervention verbale. Mais sans modifier d’un iota sa stratégie. Prochaine étape : la nomination à la tête de la Banque du Japon d’un candidat qui partage ses vues. S’il est confirmé à ce poste, Haruhiko Kuroda prévoit ainsi d’inonder sans limites l’économie de l’Archipel de liquidités.

Mi-février, les pays du G7 ont tenté de déminer le sujet. Dans un communiqué solennel, les ministres des finances et les présidents de banques centrales ont promis, la main sur le coeur, de tout faire pour éviter une guerre des monnaies. Mais cette belle unanimité cache un jeu de poker menteur. Un peu partout dans le monde développé, les stratégies mises en place pour relancer une croissance désespérément atone relèvent plutôt du « chacun pour soi ».

Les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont déjà sur la même trajectoire que le Japon. Depuis trois ans, leurs banques centrales font tourner massivement la planche à billets. Une politique destinée à soutenir la reprise, mais qui contribue à affaiblirleur monnaie.

Et tant pis si ces dévaluations de fait dopent la compétitivité de certains sur le dos des autres. « Il me paraît justifié de parler de guerre des monnaies. Les pays développés, en proie à un déficit important, s’efforcent de stimuler leur économie dans un contexte général de politique d’austérité. La manière la plus simple derelancer une dynamique est de doper leurs exportations. Pour ce faire, la dévaluation constitue un instrument de choix ; elle permet de diminuer le coût des marchandises vendues à l’étranger », analyse l’économiste Michel Santi.

La raison pour laquelle on emploie l’expression « guerre des monnaies » est que tous les pays ne peuvent pas dévaluer leur devise en même temps : « Ceux qui parviendront à remporter cette guerre seront ceux qui auront réussi à dévaluer le plus leur devise et qui auront donc le plus stimulé leurs exportations », explique M. Santi.

Or, l’Europe assiste en spectatrice à cette création monétaire au risque d’être le dindon de la farce. Plus orthodoxe que ses consoeurs du G7, la Banque centrale européenne (BCE) rappelle en effet régulièrement qu’elle ne poursuit pas d’objectifs de taux de change. Son président, Mario Draghi, n’est pas indifférent au niveau de l’euro, mais sa doctrine est de s’en remettre aux forces du marché.

QUI Y GAGNE

A Francfort, au siège de la BCE, on souligne que la monnaie unique est pour l’instant dans sa moyenne historique. Et qu’un euro un peu fort n’a pas que des inconvénients pour les particuliers et les entreprises. « Quand l’euro monte, il y a aussi des gagnants, notamment parmi les secteurs abrités de la concurrence internationale », note Agnès Bénassy-Quéré, professeur à l’Ecole d’économie deParis et présidente-déléguée du Conseil d’analyse économique.

Elle cite les groupes de grande distribution, libres de répercuter ou non la baisse des prix des produits importés qu’entraîne mécaniquement une appréciation de l’euro. De plus, la facture pétrolière ou gazière – libellée en dollars – diminue quand la devise européenne grimpe. « Certains voudraient la parité (un dollar pour un euro), mais s’est-on demandé à combien serait le litre d’essence ? », interroge Bruno Cavalier, chef économiste de la société de Bourse Oddo.

Ajoutons que les entreprises de la zone euro peuvent investir plus facilement dans le reste du monde – et y racheter des concurrents – car leur « pouvoir d’achat » externe augmente. Comme celui des touristes lorsqu’ils voyagent hors zone euro.

QUI Y PERD

Les « bienfaits » de l’euro fort sont réversibles. Les producteurs de la zone euro perdent leur compétitivité vis-à-vis de l’extérieur, voient leurs parts de marché diminuées ou doivent réduire leurs prix et leurs marges.

Dans la durée, un euro fort incite à délocaliser davantage de production vers les pays à monnaie faible, pour réimporter ensuite composants et produits finis. Il diminue l’incitation aux économies d’énergie et à l’innovation pour réduire laconsommation d’énergies fossiles et développer des alternatives renouvelables. Il pénalise l’attractivité de la zone euro pour les touristes internationaux…

La persistance d’une monnaie forte, au-dessus de son niveau d’équilibre en « parité de pouvoir d’achat », maintient donc une pression sur les salaires et les emplois en les soumettant à la nécessité d’accroître la productivité et la compétitivité à un niveau parfois inatteignable.

Les effets positifs d’un euro fort sont « très limités » au regard des inconvénients, juge l’économiste Michel Santi. « La facture énergétique est certes une considération. Mais des marchandises étrangères importées moins cher au sein de l’Union sont un facteur de déflation. Comme l’Europe a désespérément besoin du retour de ces pressions inflationnistes – ou en tout cas de leur anticipation – pour relancer son économie, la hausse de l’euro neutralise de manière indirecte toute tentative à cet égard », dit-il.

« La dernière fois que la croissance a été forte en zone euro, c’était en 2000, lorsque l’euro valait moins de 0,90 dollar. A chaque fois qu’il a dépassé 1,20 dollar, la croissance s’est effondrée », note Marc Touati dans son livre Le Dictionnaire terrifiant de la dette (Editions du Moment, 272 p., 19,95 euros).

Outre le niveau de l’euro, les chocs de change ont un effet sur la croissance, a calculé l’économiste Jean-Pierre Petit, qui édite Les Cahiers verts de l’économie : une baisse de 10 % de l’euro face aux devises de ses partenaires commerciaux apporte à la zone monétaire 0,7 % de croissance en plus au bout d’un an, et 1,3 % sur deux ans ; une hausse de l’euro de 10 % produit à peu près les mêmes effets, mais en négatif, sur la croissance.

Du point de vue des défenseurs de l’orthodoxie à la BCE, un euro « faible » faitremonter l’inflation en augmentant les prix des biens importés. Mais selon les calculs de M. Petit, 10 % de dépréciation de l’euro font monter l’indice des prix de 0,3 % au bout d’un an et de 0,7 % au bout de deux. Rien de bien grave.

Les projections de la BCE présentées le 7 mars laissent entrevoir une faible inflation en 2013 (+1,6 %) et en 2014 (+1,3 %), ce qui laisse de la marge. « La sortie, même laborieuse, de la crise passe par une hausse de la croissance réelle (hors inflation) et nominale (inflation incluse) qui réduit le poids des dettes. Trop seconcentrer sur l’inflation risque de plonger la zone euro dans une situation proche du Japon, où le produit intérieur brut [PIB] nominal a reculé pendant dix-huit ans et où la dette publique dépasse désormais 230 % du PIB… », explique M. Petit.

COMMENT LES ENTREPRISES SE COUVRENT CONTRE LE RISQUE DE CHANGE

Le niveau de l’euro peut pénaliser ou avantager les entreprises, et influencer à plus long terme leurs stratégies de production, de sous-traitance ou d’achats.

Mais la volatilité des cours les laisse, à court terme, face à de nombreuses incertitudes. Si par exemple une société de la zone euro a conclu un contrat avec un client prévoyant un paiement en dollars sur plusieurs années, elle va chercherà réduire le risque de change auquel elle est confrontée.

Sa direction financière va s’adresser à ses banques conseils qui vont lui proposerdes produits financiers – options ou contrats à terme, ou les deux – pour essayerde s’assurer contre cette incertitude. Les grands groupes disposent souvent de petites salles de marchés pour traiter elles-mêmes ces instruments.

Cependant, il est impossible de supprimer l’incertitude liée au désordre monétaire.« Face à des taux de change très volatils, les entreprises peuvent paraître démunies. Supprimer en totalité le risque de change sur 100 dollars de chiffres d’affaires revient fréquemment à près de 7 dollars, compte tenu du prix des options. Toute leur marge serait consommée pour se couvrir », si elles choisissaient ainsi le risque zéro, dit Benoît Cougnaud, directeur et associé d’Azerrisk Advantage, qui a développé, en partenariat avec EADS, un outil « R = MC² », labellisé par le pôle Finance innovation de Paris Europlace, pour aider lessociétés dans leur couverture des risques de change.

Pour M. Cougnaud, les entreprises doivent mettre à profit leur horizon de temps – un an, trois ans ou cinq ans de chiffre d’affaires à couvrir - pour se distinguer des acteurs financiers et accumuler progressivement des couvertures en visant un coût nul de cette protection, même si elle n’est ni totale ni parfaite. En raison des exigences réglementaires Bâle 3 sur la couverture des risques par leurs fonds propres, « les banques ne peuvent plus conserver de positions durables sur les marchés des changes, car le coût en fonds propres est devenu prohibitif », explique M. Cougnaud.

Ce n’est pas le cas des entreprises, qui n’ont pas à constater au jour le jour l’évolution de leurs positions de change et à passer des provisions, et qui peuventfaire preuve d’opportunisme lorsque le marché des changes connaît des poussées spéculatives et des embardées l’éloignant de la moyenne de longue période. Selon M. Cougnaud, ses travaux ont « démontré que le temps dont elles disposent pour se couvrir leur permet d’économiser de 1 % à 8 % [de la valeur du chiffre d'affaires concerné] en se couvrant sur la durée, sans avoir à agir comme des hedge funds [fonds spéculatifs]« .

Cependant, les stratégies de couverture – également utilisées sur les achats de matières premières industrielles, énergétiques ou agricoles – représentent une incertitude et un coût pénalisant. Les produits financiers proposés pour y remédier peuvent comporter eux-mêmes des risques et restent difficilement abordables ou rentables pour des entreprises moyennes ou petites.

Le niveau et la volatilité des devises dans le désordre international actuel sont une contrainte qui pèse sur l’activité, d’autant plus que la politique de change de la zone euro reste peu lisible.

Michel Santi

Interview Michel Santi – Le Monde, mis à jour le 11.03.2013 par Marie de Vergès et Adrien de Tricornot

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